ARN en action : mieux comprendre l’auto-assemblage du ribozyme
Des chercheurs ont visualisé, avec un niveau de détail sans précédent, la façon dont une grande molécule d’ARN, le ribozyme, s’assemble pour former une machine fonctionnelle.
L’ARN est une molécule biologique essentielle, aujourd’hui largement exploitée en médecine et en nanotechnologie. À l’instar des protéines, l’ARN tire souvent sa fonction de sa structure tridimensionnelle. Une étude récente, publiée dans Nature Communications , a pour la première fois capturé un ribozyme en mouvement — presque image par image. Les chercheurs ont enregistré la façon dont cette minuscule machine d’ARN se plie, se déplie et s’assemble, révélant une chorégraphie d’une complexité inédite et d’un niveau de détail sans précédent.
En utilisant des techniques de pointe — cryo-microscopie électronique (cryo-EM), diffusion des rayons X aux petits angles (SAXS), biochimie et enzymologie de l’ARN, traitement d’images et simulations moléculaires — les scientifiques ont observé l’assemblage d’un ribozyme auto-épisseur, une molécule d’ARN capable de « couper et coller » sa propre séquence, pour s’éditer en quelque sorte pour devenir opérationnelle. Ils ont capturé le processus dynamique et « en coulisses » par lequel le ribozyme auto-épisseur se replie pour adopter sa structure fonctionnelle. La recherche a été menée par l’équipe de Marco Marcia , ancien chef d’équipe à l’EMBL et actuellement professeur associé et chef de groupe SciLifeLab à l’ Université d’Uppsala , en Suède.
Cette avancée a été rendue possible grâce aux infrastructures de pointe et à l’expertise des services de l’EMBL Grenoble , qui ont permis d’intégrer des approches avancées de biologie structurale à la biochimie et à l’enzymologie de l’ARN. L’équipe Marcia a également bénéficié d’une collaboration étroite avec le Center for Structural Systems Biology (CSSB) à Hambourg, où des méthodes innovantes de traitement d’images en cryo-EM ont été développées spécifiquement pour ce projet, ainsi qu’avec l’ Istituto Italiano di Tecnologia (IIT), qui a apporté son expertise en simulations moléculaires.
« Déterminer la structure de l’ARN est une tâche ardue : sa flexibilité intrinsèque et sa charge négative en font une cible difficile pour les études structurales », explique Shekhar Jadhav, ancien doctorant à l’EMBL Grenoble et aujourd’hui postdoctorant à l’Université d’Uppsala, en Suède. « Des efforts soutenus et un criblage approfondi au microscope électronique nous ont finalement permis de visualiser des dynamiques de l’ARN jusque-là insaisissables. »
De cela en résulte le “film moléculaire” le plus complet à ce jour montrant une molécule d’ARN en train de se construire elle-même, révélant comment elle évite l’équivalent biologique des prises ratées : des états mal repliés et non fonctionnels, connus sous le nom de pièges cinétiques.
L'image représente les cartes de densité cryo-EM pour les deux états conformationnels extrêmes que l'intron du groupe II acquiert lors du repliement, grâce à un mouvement dynamique continu de ses motifs hélicoïdaux structurés.
Shekhar Jadhav/EMBL
Le scénario de l’ARN orchestré par le Domaine D1
Au cœur de cette chorégraphie se trouve le Domaine 1 (D1), le support central du ribozyme et, en quelque sorte, son metteur en scène. Ce domaine agit comme une entrée de scène moléculaire, donnant le signal aux autres domaines (D2, D3, D4) d’entrer à un moment exact lors du repliement.
De subtils mouvements au sein de régions clés de la molécule D1 incitent l’une de ses sections à s’ouvrir pour laisser passer la suivante. Chaque domaine n’entre en scène que lorsque le précédent est correctement positionné, créant une séquence fluide de chorégraphie moléculaire qui prévient les erreurs structurelles et garantit un final sans faute : la formation d’une structure capable de catalyser une réaction chimique, indispensable à la fonction du ribozyme.
Retrouver les prises perdues
En combinant plusieurs méthodes d’analyse sur des centaines de milliers de particules individuelles, l’équipe a pu reconstruire des « prises » intermédiaires invisibles dans les structures cristallines, statiques usuellement observées par cristallographie à rayon X. Ces images fugaces montrent comment l’ARN explore des positions alternatives avant de se stabiliser dans sa conformation finale.
Résolution dynamique des deux états conformationnels extrêmes que l’intron du groupe II acquiert lors du repliement, grâce à un mouvement dynamique continu de ses motifs hélicoïdaux structurés. Shekhar Jadhav/EMBL
« Pour capturer ces mouvements fugaces, nous avons dû développer de nouvelles stratégies de traitement d’images en cryo-EM », explique Maya Topf , cheffe d’équipe au CSSB , professeure au Centre médical universitaire de Hambourg-Eppendorf et collaboratrice de l’étude. « C’est un excellent exemple de la manière dont l’innovation computationnelle et des données cryo-EM de haute qualité peuvent révéler les conformations cachées des machines moléculaires. »
Les données de SAXS et les simulations de dynamique moléculaire ont aidé les scientifiques à affiner chaque « image » et à assembler le fil narratif.
« L’un des grands atouts de ce travail réside dans la synergie entre ces nouvelles données structurales de pointe sur l’ARN et nos simulations moléculaires avancées de ce système complexe », souligne Marco De Vivo , responsable du laboratoire de modélisation moléculaire et découverte de médicaments, et directeur associé pour le calcul à l’ Institut Italien de Technologie de Gênes, ainsi que l’un des collaborateurs de l’étude. « Cette approche combinée a permis de clarifier, avec un niveau de détail atomistique jamais atteint, la dynamique qui gouverne l’assemblage complet de cette molécule d’ARN — ouvrant ainsi de nouvelles perspectives pour la découverte de médicaments ciblant l’ARN. »
De l’ancien manuscrit à la spin-off moderne
Les introns de groupe II, les ribozymes mis en scène dans ce film moléculaire, sont considérés comme les ancêtres du spliceosome, la machinerie complexe qui édite l’ARN dans les cellules humaines. En montrant comment ces molécules se replient efficacement et évitent les pièges cinétiques, l’étude offre un nouvel éclairage sur la manière dont les premières formes de vie fondées sur l’ARN ont pu développer leurs outils d’édition.
Au-delà de l’aspect évolutif, ces travaux préparent également le terrain pour la conception et l’ingénierie de l’ARN : ils orientent la manière dont les biotechnologies de demain pourront programmer des molécules d’ARN capables de se replier correctement pour des usages thérapeutiques ou en nanobiotechnologie.
Ouvrir la voie à l’IA pour l’ARN
Les jeux de données détaillés et les mécanismes moléculaires mis au jour dans cette étude constituent une référence précieuse pour l’entraînement et l’évaluation des modèles d’IA. Certaines des structures d’ARN résolues ici ont déjà été utilisées dans les compétitions internationales CASP — le même défi prédictif qui a donné naissance à AlphaFold — comme récemment décrit dans la revue Proteins .
« Ces travaux devraient jouer un rôle clé dans l’élaboration d’approches d’intelligence artificielle dédiées à la prédiction de la structure de l’ARN, ouvrant la voie vers un nouvel “AlphaFold de l’ARN” », déclare Marcia.
Cette convergence entre précision expérimentale et apprentissage automatique marque une nouvelle étape pour la biologie structurale de l’ARN, où l’IA et la cryo-EM peuvent s’enrichir mutuellement pour prédire, visualiser et comprendre la dynamique de la molécule la plus polyvalente du vivant.