Pêcher l’ADN plutôt que les poissons pour mesurer la biodiversité dans les rivières

07.12.2023
© Altermatt lab/Eawag

En se déplaçant dans une rivière, les poissons laissent derrière eux des fragments d’ADN.

En se déplaçant dans une rivière, les poissons laissent derrière eux des fragments d’ADN, par exemple via leur peau ou leurs excréments. Toutes ces traces, qui forment ce que l’on appelle l’ADN environnemental, permettent de déterminer avec précision les espèces présentes sans avoir besoin de pêcher les poissons. Telle est la conclusion d’une vaste étude soutenue conjointement par le Fonds national suisse (FNS) et l’Office fédéral de l’environnement (OFEV). Les résultats viennent d’être publiés dans le Canadian Journal of Fisheries and Aquatic Sciences.

La police scientifique des rivières

Professeur d’écologie aquatique à l’Université de Zurich et responsable d’un laboratoire à l’Eawag, Florian Altermatt, responsable de l’étude, explique: «Par le passé, les inventaires de biodiversité dans les rivières étaient réalisés de manière ponctuelle, tous les cinq ans environ, ce qui est insuffisant pour un suivi correct.» De plus, ils se basaient uniquement sur l’identification morphologique des spécimens, généralement effectuée par pêche électrique. Cette méthode consiste à faire remonter les poissons à la surface en les attirant et en les paralysant avec un courant électrique. Néfaste pour les animaux, elle n’est autorisée en Suisse que pour la recherche scientifique.

Les scientifiques cherchent aujourd’hui à développer des méthodes de mesure de la biodiversité aquatique qui soient plus faciles à mettre en œuvre et plus éthiques. Pour ce faire, Florian Altermatt et son équipe ont misé sur la récolte de l’ADN environnemental.

Collecté et analysé grâce à des outils génétiques, l’ADN environnemental permet d’identifier les espèces auxquelles leurs propriétaires appartiennent. «Ces fragments indiquent la présence de telle ou telle espèce dans le milieu ou à proximité, par exemple en amont du site de prélèvement, même sans preuve visuelle. Un peu comme l’ADN que l’on retrouve sur une scène de crime», illustre le chercheur.

Près de 90 sites étudiés en Suisse

La technique a été développée il y a une dizaine d’années et constamment améliorée depuis. Pour la première fois, Florian Altermatt et son équipe l’ont testée à grande échelle, dans 89 sites à travers toute la Suisse – de petites et de grandes rivières, ainsi que des ruisseaux.

A chaque fois, les scientifiques y ont recueilli 2 litres d’eau et en ont extrait l’ADN environnemental. En comparant leurs trouvailles avec une importante base de données des séquences ADN des poissons – une sorte de fichier exhaustif de profils ADN –, ils ont pu identifier les espèces auxquelles appartenaient les traces décelées dans l’eau. En comparant ensuite la liste des espèces identifiées sur le lieu de prélèvement avec la liste de toutes les espèces susceptibles de se trouver sur le site – elle-même établie à partir de relevés historiques sur trente ans –, ils ont pu estimer si la méthode était précise. Et la comparer à la pêche électrique.

Résultat: l’ADN environnemental est une méthode fiable d’estimation de la biodiversité dans les rivières. Elle s’est avérée concordante avec les données historiques et a permis de détecter une plus grande diversité d’espèces qu’une campagne de pêche électrique. «Avec l’ADN environnemental, nous avons aussi pu identifier les espèces qui vivent en amont du lieu de prélèvement ou celles qui sont difficiles à analyser par la pêche électrique», explique le chercheur.

Publication originale

J. Brantschen and F. Altermatt: Contrasting strengths of eDNA and electrofishing compared to historic records for assessing fish community diversity and composition. Canadian Journal of Fisheries and Aquatic Sciences (2023)

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