Permettre une détection précoce du cancer

Les cellules sanguines révèlent la présence de tumeurs dans l’organisme: Scientifiques progressent dans le développement d’un test pour le diagnostic précoce du cancer

18.12.2023
Paul Scherrer Institut/Markus Fischer

G.V. Shivashankar espère améliorer le diagnostic du cancer avec sa nouvelle méthode et le recours à l’intelligence artificielle.

Dépister précocement un cancer en train d’apparaître à un stade très précoce, et surveiller de manière serrée le succès ou l’échec d’un traitement anticancéreux est décisif pour la survie des patients. Des scientifiques du PSI viennent d’accomplir une percée sur les deux fronts. Un groupe emmené par G.V. Shivashankar, responsable de la mécanogénomique au PSI et professeur à l’ETH Zurich, a réussi à démontrer que des modifications au niveau de l’organisations du noyau cellulaire de certaine cellules sanguines pouvaient fournir un indice sûr de la présence d’une tumeur dans l’organisme. Avec leur technique – qui utilise l’intelligence artificielle – les scientifiques ont pu démontrer qu’ils étaient en mesure de distinguer les personnes saines des personnes malades avec précision d’environ 85%. Par ailleurs, ils ont réussi à déterminer correctement le type de cancer dont souffrait les patients: mélanome, gliome ou cancer de la tête et du cou. «C’est la première fois au monde que quelqu’un y parvient», se réjouit G.V. Shivashankar. Les scientifiques ont publié leurs résultats dans la revue spécialisée npj Precision Oncology.

Les cellules tumorales se trahissent toutes seules

En principe, identifier la présence d’une maladie cancéreuse dans l’organisme ou surveiller le déroulement de son traitement sont des tâches très fastidieuses, qui interviennent souvent à une phase avancée, lorsque les signes deviennent évidents. Les spécialistes de la recherche fondamentale sont donc à la recherche d’une méthode qui serait à la fois facile à utiliser dans le quotidien clinique, mais aussi fiable et sensible. Le groupe de recherche emmené par G.V. Shivashankar s’est intéressée aux lymphocytes et aux monocytes, appelés cellules mononucléaires du sang périphérique par les spécialistes. Ils peuvent être facilement obtenus par un simple prélèvement sanguin et leur noyau rond est bien visible au microscope. L’hypothèse des scientifiques était la suivante: le matériel génétique que contient leur noyau réagit aux substances que la tumeur émet dans la circulation sanguine, que l’on appelle le sécrétome. Ce sécrétome active la chromatine dans les noyaux des cellules sanguines. Autrement dit, il modifie l’organisation du matériel génétique qui s’y trouve. Cela peut servir d’indicateur ou de biomarqueur. «Notre hypothèse était que les cellules sanguines étaient des détecteurs de tumeurs, résume G.V. Shivashankar. Et cela nous a menés loin.»

L’aide de l’intelligence artificielle lors du diagnostic

Les scientifiques ont étudié la chromatine des cellules sanguines – c’est ainsi que l’on appelle la structure au sein de laquelle l’ADN ou le génome est emballé en une espèce de pelote – à l’aide de la microscopie par fluorescence. Celle-ci a capté par exemple la texture externe, la densité de l’emballage ou encore le contraste de la chromatine dans les lymphocytes et les monocytes, soit quelque 200 caractéristiques en tout. Ils ont alimenté une intelligence artificielle (IA) avec les images de sujets sains et de sujets malades obtenues au microscope. Ce faisant, ils ont exploité les conditions du «supervised learning», dont le but est d’inculquer au logiciel les différences connues. Lors de l’étape suivante du «deep learning», l’algorithme a ensuite identifié lui-même des différences entre les cellules «saines» et les cellules «malades», qui n’étaient pas visibles pour l’observateur humain.

Le groupe de recherche a poursuivi trois démarches différentes. Lors d’une première série d’essais, il a étudié si la méthode était capable de distinguer les personnes contrôles des personnes malades. Pour ce faire, il a comparé les cellules sanguines de dix patients avec celles de dix personnes saines. L’IA a pu distinguer les patients sains des patients cancéreux avec une précision de 85 pour cent. «Même l’analyse d’une seule cellule quelconque a été effectuée avec une grande précision», souligne G.V. Shivashankar. Dans le cadre d’une deuxième démarche, il s’est agi de déterminer si l’IA pouvait distinguer différents types de cancers. Pour ce faire, les scientifiques ont alimenté l’algorithme avec les données de la chromatines des cellules sanguines de dix malades atteints d’un gliome (cancer du tissu de soutien des cellules nerveuses), d’un méningiome (cancer des méninges) et d'une tumeurs en oto-rhino-laryngologie. Cet essai a été couronné de succès, lui aussi. Les cancers ont été attribués avec une exactitude de plus de 85 pour cent. Enfin, une troisième question portait sur les patients qui ont été ou sont toujours en traitement au Centre de protonthérapie (CPT) du PSI.

Damien Weber, directeur et médecin-chef du ZPT voit un grand potentiel dans cette approche diagnostique et a demandé à 150 de ses patients de donner leur accord pour que leurs échantillons de sang soient analysés dans le cadre de l'étude: «Nous espérons que cette nouvelle méthode peut améliorer à la fois le diagnostic et le contrôle du succès du traitement.»

Pour évaluer le succès de l’intervention, les scientifiques ont prélevé des échantillons de sang avant, pendant et après la radiothérapie. Là encore, le logiciel a fonctionné avec succès et a correctement classé les échantillons avec une très grande précision. On s’attendait à ce que le traitement réduise la concentration et la composition des signaux tumoraux dans le sang, et c’est ce qui s’est produit: l’apparence du matériel génétique des cellules sanguines s’est normalisée. «Observer la manière dont la structure de la chromatine se rapprochait à nouveau du modèle sain au fil du traitement s’est avéré étonnant», relève G.V. Shivashankar, satisfait.

De nombreuses applications envisageables dans le domaine du diagnostic et du traitement des cancers

Du point de vue du biologiste et de ses collaborateurs, la nouvelle méthode basée sur la chromatine des cellules sanguines n’est pas uniquement applicable aux cancers étudiés, mais aussi à un grand nombre d’autres. Et elle pourrait bien ne pas se limiter au contrôle du déroulement de la protonthérapie, mais être utilisée pour surveiller d’autres types de traitements, comme la radiothérapie en général, la chimiothérapie et la chirurgie. D’autres travaux de recherche doivent désormais démontrer si c’est bel et bien le cas. Dans une publication parue dans la revue spécialisée Scientific Reports, le groupe de G.V. Shivashankar a déjà testé, en collaboration avec le Centre des sciences radiopharmaceutiques (CRS) du PSI, si les biomarqueurs de la chromatine pouvaient être utilisés pour détecter des cellules résistantes aux radiations et à la chimiothérapie. D’ici à ce que les autorités délivrent une autorisation de la méthode dans la pratique clinique, il reste beaucoup de travail à faire. Notamment des études incluant un plus grand nombre de participants, afin de déterminer le nombre de faux positifs et de faux négatifs dans des conditions cliniques. Mais pour G.V. Shivashankar, il est hors de doute que la voie qui mène à l’application clinique est tracée et que les patients profiteront du procédé. «La méthode est prête!», affirme-t-il.  

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